On dirait bien que le sujet n’est pas si clos que ça…
Du coup, je me permets de développer un peu plus le raisonnement sous-jacent.
De mon point de vue, une boîte manuelle exige de son lubrifiant quatre fonctionnalités, certaines se rejoignant, d’autres étant antinomiques.
La première renvoie à la lubrification des paliers chargés. Sur la R380, on a du roulement conique de base, précontraint de mémoire. À part les épaulements de ces roulements, qui sont un peu taquins à lubrifier comme Pater l’a expliqué de manière détaillée à plusieurs reprises, un lubrifiant de bonne qualité doit faire le taf sans problème puisqu’on a un simple mouvement de roulement (éléments roulant gentiment sur leurs pistes) à reprendre.
Ensuite on a les pignons. Là, c’est un peu plus compliqué, car on a des frottements assez intenses à reprendre — inévitables, car liés au profil des dents — et, surtout des pressions de contact élevées sur les flancs de dents à cause du couple passant d’un pignon à l’autre. Sur une BV, située par définition en sortie de vilebrequin, seul règne le couple moteur (265 N·m sur nos engins). Pas mal, certes, mais rien à voir avec les pressions régnant sur les flancs de dents d’un couple conique de pont fortement réducteur : donc inutile de se prendre le chou avec des propriétés élevées de tenue à la pression. Comme je l’indiquais ce matin, une R380 est donc beaucoup moins sollicitée de ce point de vue qu’une BV de berline un peu pêchue qui comporte en son sein un différentiel, siège de pressions de contact élevées (au moins quatre fois plus à cause du rapport de démultiplication de ce dernier).
Ensuite vient un problème spécifique aux boites Land : les pignons fous de l’arbre secondaire sont montés sur des roulements à aiguilles.
Un rapide calcul pour mieux cerner les contours du problème.
Admettons que les pneus aient un rayon sous charge de 0,36 m. A 100 km/h, nos roues vont donc tourner à 740 t/mn. Sachant que le rapport des ponts est de 3,54/1, l’arbre de sortie du transfert tournera à 2 610 t/mn. Le rapport de transfert en gamme longue étant de 1,2/1, l’arbre secondaire (de sortie) de la R380 va, lui, tourner à 3 130 t/mn.
Le principe de base d’une BV manuelle est que les trains de pignons (sauf la marche arrière évidemment) sont tous en prise constante. Ce détail est important, capital même, car il signifie que le pignon de première, même s’il ne passe aucun couple, tourne en permanence.
Comme ses compères, d’ailleurs, mais qui tournent de moins en moins vite, la démultiplication diminuant progressivement avec le rang du rapport.
Pour rappel, le rapport de première est de 3,585/1.
Formulé autrement, le régime auquel le moteur devrait tourner pour amener le 4x4 à 100 km/h en première est de 11 250 t/mn.
Totalement irréaliste, sauf que cela signifie que le régime effectif du pignon fou de première est bel et bien de 11 250 t/mn lorsqu'on roule en cinquième à 100 km/h.
Or on a vu que l’arbre secondaire, craboté sur le train de pignons formant le cinquième rapport, tourne à 3 130 t/mn : le différentiel de vitesse à reprendre entre le pignon et l’arbre secondaire n'est donc plus « que » de 8 120 t/mn.
Et qui doit encaisser ce différentiel de vitesses? Notre cage à aiguilles.
Le Pater nous donnera sans doute plus de détails à ce sujet, mais on sent bien qu’une telle vitesse, même en l’absence de couple (nos pignons, comme leur nom l’indique, tournent fous) exige un certain débit d’huile si on veut que le roulement à aiguilles tienne la distance.
D’où la présence d’une pompe à huile dans cette boîte.
À ceci près que plus l’huile sera épaisse, moins le débit sera élevé et plus le roulement souffrira.
Et s’il grippe à près de 9 000 t/mn (j’ai pris l’exemple du rapport de première mais c’est la même chose, en un peu moins calamiteux certes, pour la 2 et la 3) la boîte explosera, c’est aussi simple que ça.
J’avoue avoir vu très peu de boîtes dont les pignons fous d’arbre secondaire étaient montés sur roulements : généralement, on a une simple bague formant palier, mais dont l’usinage et le traitement thermique sont assez alambiqués ; l’objectif de l’usinage est de forcer l’huile aux interfaces en contact, au nombre de deux (arbre
et pignon) la vitesse circonférentielle élevée permettant au palier de passer de lui-même en régime hydrodynamique, ce qui dispense alors de recourir à une pompe à huile.
Je subodore que la conception de cette boîte remonte à une époque où la validité de l’hypothèse hydrodynamique du fonctionnement des paliers assurant la rotation des pignons fous n’était pas encore admise par tous les concepteurs.
Et comme les British sont assez conservateurs…
Perso, ce choix technique ne me dérange pas. Étant d’un naturel assez méfiant, je pense d’ailleurs que j’aurais agi de même. Par contre, il faut garder à l’esprit les exigences de lubrification attachées à cette conception, certes un peu lourdingue, mais sans doute très fiable.
Si on fait la synthèse de ce qui précède, on en arrive à une première conclusion : pour que paliers et engrenages tiennent, il faut une GL4 (je crains que l’ATF ne soit un poil juste de ce point de vue) et pour que l’huile pulse fort sous les pignons fous afin que les aiguilles encaissent sans dommages le différentiel des vitesses régnant entre arbre et pignons, il faut une huile pompable, ce qui veut dire fluide, soit une 75-80 maximum.
Basta, problème réglé, ont dû se dire les gus de chez Land Rover lorsqu’ils ont préconisé la MTF 94.
Bah non, pas basta.
Du moins de mon point de vue, car il reste le problème de la synchronisation.
L’ennui avec cette fonction, c’est qu’elle entre en contradiction plus ou moins nette avec les celles que je viens de balayer rapidement.
Pour rappel, le rôle d’un synchroniseur est d’amener deux arbres au même régime de rotation afin que le crabotage — qui, seul, permet de passer des valeurs élevées de couple — puisse s’effectuer sans chocs.
Si on décompose la manip, on trouve d’abord que la vitesse de l’arbre secondaire dépend de celle du véhicule.
Ensuite, à vitesse de progression du véhicule constante, la vitesse des arbres intermédiaire et primaire ne dépendra que du rapport engagé.
Par ailleurs, sur un 4x4 à fort couple, le disque d’embrayage — solidaire par construction de l’arbre primaire — présente un moment d’inertie en rotation assez élevé en raison de la masse des pièces.
Formulé autrement, égaliser les vitesses de rotation des arbres nécessite que les cônes de synchro puissent passer un certain couple. En pratique, cela nécessite de faire apparaître un certain frottement entre les cônes menant et mené du synchro.
Or dans toutes les applications décrites supra, on cherchait justement le contraire, à savoir réduire les frottements.
C’est là où les chimistes doivent être fins dans le compromis, car passer entre ces différents écueils nécessite de creuser dans le détail les conditions limites de fonctionnement d’un synchroniseur.
Il faut donc regarder de très près sous quelles conditions de charge, de vitesse de glissement et de durée d’application des efforts fonctionne un synchroniseur et élaborer une chimie qui réagisse bien dans ce contexte spécifique sans pour autant se dégrader dans les autres.
En d’autres termes, il faut un lubrifiant présentant un certain niveau de résistance au cisaillement sous faible charge — le couple assurant la synchronisation des arbres va en effet transiter via le laminage du film d’huile — sans jamais se rompre, ce qui provoquerait alors un contact franc entre les pièces, un arrachement du métal et une élévation de la température.
Et ce film doit être mince, car le lubrifiant doit être fluide pour permettre un débit suffisant de la pompe.
J’ai l’intime conviction que cette fonctionnalité n’a pas été étudiée avec la finesse requise et c’est principalement pour cette raison que je souhaite me passer de la MTF, que je considère peu satisfaisante dans son fonctionnement en phase de synchronisation, ce qui génère une quantité significative de particules métalliques abrasives dont la principale conséquence est de dégrader les autres pièces en mouvement, ce qui, au final, plombe les performances d'un lubrifiant pas spécialement bon marché, en prime.
Par ailleurs, les meilleures performances en viscosité de la NFX ont aussi une conséquence sur le ralentissement de la pignonnerie lorsqu’on monte les rapports à froid. Car c’est essentiellement le passage 1 vers 2 qui me pose problème : la synchro étant du genre paresseuse, l’ensemble arbres primaire + intermédiaire perd rapidement de la vitesse à cause des frottements de l’huile sur les pignons, ce qui complique encore la tâche des synchroniseurs.
Le phénomène devient alors dynamique et les contraintes sur les synchroniseurs, exponentielles. Pour faire simple, la montée des rapports est rugueuse.
En pratique, si je ne veux pas forcer sur les synchros, il me faut impérativement effectuer un passage de 1 vers la 2 « au régime », ce qui est vraiment très agaçant, parce que très long, notamment lorsqu’il est impératif de prendre rapidement de la vitesse en courtes pour mieux franchir un obstacle glissant.
Depuis le passage à la Tranself, les vitesses montent rapidement et sans effort anormal, à chaud comme à froid, ce qui rend enfin cette transmission à peu près efficace en franchissement technique.
Pour conclure, lors du passage des vitesses, on perçoit bien les trois phases classiques inhérentes au fonctionnement d'une boîte manuelle :
1°) les cônes de synchros passent le couple nécessaire à l’équilibrage des vitesses circonférentielles des arbres sans friction excessive et de manière douce et progressive (on n’a plus cette désagréable sensation de friction métal contre métal) ;
2°) les crabots s’alignent sans choc (effet dû à l’usinage en pointe de leurs dents) et sans le moindre bruit (bourdonnement caractéristique) ;
3°) les crabots se verrouillent à fond et en douceur.
À suivre !