J'ai donc recherché des éléments afin de faire un topo plus complet.
Ces éléments mêlent :
- des considérations théoriques ;
l'expérience que j'ai pu acquérir sur des moteurs très différents : essence, Diesel, 2 temps, pas poussés, poussés. J'ai notamment le souvenir d'une intervention épique sur le cylindre en fonte d'une tondeuse à couteaux hélicoïdaux Atco, marquée de l'ordre de la jarretière (du British, bien sûr ) dont le cylindre s'ovalisait à cause de la chaleur au-delà d'une heure et demie de fonctionnement...
les échanges les plus marquants que j'ai pu avoir avec des ateliers spécialisés. Ces échanges portaient sur la métrologie (la mienne, la leur), l'appréciation des seuils de tolérance, les machines outils à utiliser selon le résultat recherché...
Tout d'abord, d'où vient l'usure?
1°) De la segmentation.
Les segments exercent un appui continu sur le cylindre et cet appui est à peu près constant (en réalité, c'est une approximation, mais bon) en tout point. En théorie, l'alésage reste parfaitement cylindrique : en d'autres termes, seul son diamètre augmente, d'une égale valeur en tout point, et ce d'une manière assez régulière au fil du temps. Au voisinage du point mort haut, la chaleur intense, la faible quantité d'huile et l'appui prolongé des segments (la vitesse diminue, puis devient nulle avant de changer de signe quand le piston redescend) accentuent l'usure. C'est ce qui produit la marche dont on parlait précédemment ;
2°) Des poussées exercées par le piston sur les parois du cylindre.
La poussée s'exerce perpendiculairement à l'axe de piston et est plus marquée en détente (phase motrice, piston descendant, appui sur le côté gauche du cylindre dessiné) qu'en compression (piston montant, appui sur le côté droit du cylindre). La figure ci-dessous détaille les différents efforts en jeu :
La poussée sur le cylindre étant dissymétrique, l'usure l'est également : c'est la cause principale de l'ovalisation.
3°) Des effets des variations du régime thermodynamique.
Les températures et les pressions ne sont pas homogènes sur la hauteur du cylindre : les dilatations ne sont pas les mêmes, les pressions non plus. Donc l'usure n'est pas constante sur l'ensemble de la course du piston. C'est la cause principale de la conicité.
Il existe d'autres causes, beaucoup plus subtiles à interpréter, ce qui rend la phase métrologique passionnante pour les grands malades!
Une conicité exagérée comparée à l'usure générale peut révéler un problème de refroidissement (entartrage de la partie supérieure du bloc par exemple).
Elle peut aussi résulter de montées en température mal gérées par le conducteur. Les sagouins qui tirent sur leur moteur à froid désynchronisent les variations dimensionnelles des cylindres et des pistons : des frottements temporaires apparaissent aux points de jeux anormaux, provoquant une usure rapide.
Un cylindre dont l'usure longitudinale (celle que l'on mesure dans la direction de l'axe des pistons) est beaucoup plus élevée que les autres, doit éveiller l'attention : gauchissement probable d'une bielle, généralement consécutive à la rupture d'une courroie de distribution.
De même, l'examen attentif des cylindres et des pistons est très instructif pour un œil exercé (traces brunâtres laissées par les gaz, amorces de corrosion, rayures dues à un entretien approximatif du filtre à air)...
La figure ci-dessous explicite un peu plus les conséquences du vrillage ou du gauchissement des bielles :
Il y a aussi les causes chimiques, mécaniques (serrages foireux sur chemises humides ou cylindres amovibles des motos)...
J'arrête là.
Que mesure-t-on?
Des diamètres. Pas le profil réel des cylindres.
La nuance est de taille : en effet, vu qu'on ne peut pas passer une règle et un comparateur dans le cylindre, on ne peut effectuer que des mesures relatives. Ces mesures se font généralement avec des comparateurs spéciaux, dit basculants, qui donnent des diamètres,
mais sans pouvoir les positionner par rapport à un axe théorique.
La figure ci-après, volontairement simplificatrice, illustre le propos :
L'alésage en tiretés représente le cylindre dans son état initial.
La croix au centre du croquis représente l'axe théorique de l'alésage ; cet axe est bien évidemment celui que la broche de la machine-outil a décrit lors de l'usinage...
Le cercle vert représente l'usure au PMH, majoritairement imputable au segment de feu.
Le tracé rouge se situe à une cinquantaine de millimètres environ du plan de joint de culasse, là où l'ovalisation est généralement la plus marquée. Cette usure est majoritairement imputable au frottement du piston contre le cylindre.
Les tracés vert et rouge correspondent donc à des cotes (« altitudes ») différentes dans le cylindre. Formulé autrement, le dessin est assimilable à la superposition de deux calques correspondant à des hauteurs différentes du même cylindre. Ces calques sont tous centrés sur le même axe de symétrie : celui de la broche de l'alésoir qui a usiné le cylindre...
Le troisième représentait le cylindre dans son état neuf ; bien sûr, ce calque était rigoureusement identique en tout point de la hauteur du cylindre.
Il existe donc différents profils, qui dépendent de la position du plan de mesure dans le cylindre...
Concrètement, les mesures donnent ceci :
Les mesures longitudinales sont effectuées dans l'axe du bloc, donc parallèlement aux axes de pistons.
Les mesures transversales sont effectuées perpendiculairement aux axes de pistons.
On obtient un pseudo-profil à diverses hauteurs du cylindre. Reste à l'interpréter.
Vu que la chose peut paraître un peu subtile, je propose de l'aborder en termes de conséquences pour l'étanchéité.
Les segments se comportent comme des ressorts : intuitivement, on perçoit qu'une augmentation du diamètre provoque leur expansion. En d'autres termes, leur jeu à la coupe augmente proportionnellement au diamètre du cylindre dans lequel ils glissent.
A priori, l'étanchéité ne paraît pas affectée.
Pas tout-à-fait : si le jeu à la coupe augmente, c'est autant de surface en plus que les gaz peuvent emprunter. Et si le cylindre est conique, les segments vont, cycliquement, s'expandre et se contracter. Ce faisant, ils frottent contre les gorges du piston, et par conséquent, les usent. Mais si le jeu aux gorges augmente, le risque de matage des gorges augmente aussi, ainsi que les remontées d'huile. Et les gaz peuvent aussi passer plus facilement...
La conicité doit donc être limitée.
On devine également qu’au-delà d'une certaine valeur, la tension (pression des segments sur le cylindre) de la segmentation n'est plus suffisante, provoquant des fuites de gaz et d'huile. Il faut donc limiter l'augmentation par usure du diamètre de l'alésage.
L'usure générale doit donc être limitée.
Elle doit aussi l'être pour éviter un basculement excessif du piston dans le cylindre, qui provoquerait des contacts linéiques (aux arêtes du piston) très agressifs pour le cylindre, des vibrations et des échauffements.
Le jeu cylindre piston doit donc être limité.
Reste l'ovalisation.
De mon point de vue, c'est le paramètre le plus critique (du moins sur des Diesel, relativement lents mais qui travaillent à des pressions élevées) et le plus pernicieux car, contrairement à la fameuse marche du PMH, il n'est pas repérable à l’œil.
Un segment est souple et permet d'absorber des variations dimensionnelles des cylindres. A la condition que ces cylindres restent parfaitement ... ronds.
La figure ci-après montre que la circularité est affectée par l'usure due au frottement des pistons :
La zone hachurée correspond à la surface que la segmentation ne peut pas étancher en raison de sa rigidité en flexion locale ; autrement dit, elle représente les conséquences de l'ovalisation sur le passage des gaz. Il se passe bien sûr la même chose sur la droite du dessin, mais je n'ai pas jugé utile de hachurer cette zone...
Pourquoi? Parce que le rayon de courbure d'un segment ne peut pas varier localement ; en d'autres termes, sa rigidité ne lui permet pas d'épouser des formes à la fois circulaires et elliptiques (le terme est géométriquement impropre, mais je le considère suffisamment explicite). C'est un peu comme si on voulait boucher un trou et une boutonnière par ajustement du bord franc de la
même rondelle : la rondelle, après usinage, pourra épouser parfaitement le trou (et le petit diamètre de la boutonnière), mais la matière manquante sur le plus grand diamètre l'empêchera d'étancher la totalité de la boutonnière...
On a donc deux usures dont les effets se cumulent pour compromettre l'étanchéité : l'usure due aux segments, qui génère un cercle parfait, et celle due au piston, qui génère une boutonnière. Et comme on ne peut pas reconstituer le profil exact de cette usure avec les moyens métrologiques traditionnels (mon dessin ne pourrait être obtenu qu'avec un profilomètre laser qui donnerait une image tridimensionnelle du cylindre rattachée à son axe de symétrie originel), on est réduit à fixer des conditions considérées comme limites et dont la combinaison se veut approcher la réalité : d'où les quatre conditions des inters précédentes, dont l'une, la conicité, est manifestement erronée (erreur de calcul ou de traduction).
La figure suivante précise ce qui est mesuré par un comparateur d'alésage classique :
Par convention : Ø transversal - Ø longitudinal = ovalisation.
Les couleurs et les calques dont je parle ci-avant sont bien entendu toujours identiques et renvoient aux mêmes remarques.
On remarque aussi qu'en raison de la dissymétrie des usures transversales, l'axe de la mesure transversale de l'ovalisation est décalé par rapport à l'axe de symétrie natif dont on ne voit plus qu'une branche de la croix sur le dessin (effet « boutonnière », autrement dit, passage d'un disque parfait à une surface oblongue).
Les règles de l'art définissent une condition
générique unique pour borner l'ovalisation et la conicité :
elles doivent, chacune, être inférieures ou égales à 0,0018 mm par millimètre de diamètre d'alésage.
Voilà, j'ai terminé ce que je considère comme une première partie. C'est assez copieux et sans doute un peu ésotérique, ce qui fait que j'ai toujours des doutes sur l'intérêt de tels développements...
Mais si les gentils membres estiment cela utile, je peux proposer deux compléments à cet article :
- avec quoi et comment je mesure ;
ce que j'en tire comme conclusions et ce que je fais.
à +