Ze Fifi,
bien qu'on pollue sans vergogne le sujet initial — quoique — ton questionnement m'a rappelé mon jeune temps et notamment la tambouille à laquelle on se livrait pour dimensionner des chantiers de terrassement d'une certaine importance.
C'est quoi, le rapport avec le sujet? Ben c'est qu'une étude de ce type permettait de choisir des matériels — donc des moteurs et des transmissions — adaptés aux contraintes de chaque chantier.
La tambouille est tout à fait transposable au sujet qui nous intéresse et il se peut que les ordres de grandeurs qui vont suivre aident à fixer les enjeux auxquels on est confronté lorsque, comme toi, on doit « tracter lourd ».
Le cas d'école qui me vient à l'esprit est l'A75 et plus particulièrement la section située au sud de Massiac, dans le Cantal.
Comme disent les cyclistes, ce tronçon comporte un col « hors catégorie », à part qu'ici ce sont des normes de tracé des autoroutes de liaison (l'ICTAAL dans le jargon des concepteurs routiers) dont il est question : le col de la Fageole, car tel est le petit nom du bestiau, présente en effet une rampe régulière de 6% sur 12 km, ce qui est assez monstrueux pour une autoroute.
Les effets sur le trafic sont à peu près les suivants : la vitesse des poids lourds tombe en moyenne à 70 km/h, une bonne moitié des berlines — surtout en période estivale où les gens circulent avec des véhicules lourdement chargés — est obligée de rétrograder et peine à maintenir une vitesse supérieure à 110 km/h.
Le cas de figure est donc intéressant.
En reprenant tes éléments, on obtient :
- rampe de 6% gravie par une masse de 5 tonnes = 3 000 N d'effort de traction ;
- en tenant compte des divers frottements et en pifométrant le Cx de parachute qui doit caractériser ton attelage, on rajoute un bon tiers à l'effort précédent, soit 1 000 N ;
- l'effort nécessaire au franchissement de la rampe est donc de l'ordre de 4 000 N (allez, 400 kg d'effort de traction à fournir si on s’assoit sur les unités internationales
) ;
- par ailleurs, on table sur une vitesse de 90 km/h dans la rampe — de la sorte, on ne sera donc pas obligé de rester sur la VSVL (voie spéciale véhicules lents) sans pour autant mettre le bazar sur la voie de droite — ce qui correspond à du 25 mètres/seconde.
En physique, le produit d'une force par son déplacement est une énergie dont l'unité est le Joule ; soit, dans notre cas, 4 000·25 = 100 000 J.
100 000 J d'énergie produits en 1 seconde, ça fait donc 100 Kw (135 chevaux) à fournir.
Maintenant, on passe au moteur.
Dans mon monde, j’aime que les moteurs s’accrochent à la charge, genre Percheron obstiné. En clair, cela se traduit par l’hypothèse qu’un régime moteur de 2 000 t/mn suffira à emmener attelage dans le col considéré.
Question : quel est le couple que le moteur devra fournir dans ces conditions?
Un couple, c'est le produit d'une force par un bras de levier, que l’on fixe par convention à un mètre.
On a donc, par seconde : 2 000/60·2·1·π, soit 210 mètres parcourus en une seconde par notre force de 1 N.
Le couple capable d'emmener notre attelage à 90 km/h, moteur tournant à 2 000 t/mn, est donc de 480 N·m.
La question suivante : quel type de moteur peut fournir un couple de cette importance au régime demandé?
Assurément pas un 2,4 l mazout et sans doute pas non plus un V8 essence, dont le couple max va sortir à un régime plus élevé, sauf à taper dans du très lourd, genre 6 à 7 litres de cylindrée. Un peu indécent ces temps-ci et, surtout, pas spécialement efficace quand il faut tourner encore moins vite pour arracher une charge très lourde sans défoncer l'embrayage. Donc on oublie.
Reste donc le mazout. Un 3 litres semble un peu juste, mieux vaudrait un 4 litres. Comme les performances en matière de dépollution seront meilleures avec un moteur suralimenté, le moteur recherché serait donc un 4 litres turbo-compressé qui, avec une injection un peu travaillée, va fournir sans problème le couple en question pour une consommation réduite.
Rien de nouveau sous le soleil en somme, à part que cela relativise les valeurs de puissance régulièrement annoncées à tort et à travers, comme s’il suffisait d’avoir la plus grosse pour atteindre le Nirvana. En d’autres termes, ce petit calcul montre qu’en réalité, c’est la courbe couple/régime qui est déterminante pour l’efficacité et l’agrément d’un moteur. Mais pour l’avoir celle-là, c’est compliqué, sauf dans l’univers des TP ou du transport routier, où les gens savent généralement de quoi ils parlent.
J’ajoute qu’un moteur de grosse cylindrée offre des surfaces d’échange de chaleur plus importantes — notamment au niveau des pistons — et que la « peau » des pièces, celle qui est soumise aux chocs thermiques (l’air admis est à la température atmosphérique, ce qui refroidit les premiers centièmes de métal qui, l’instant d’après, vont devoir encaisser une température de près de 1 000 °C) va moins souffrir, la fréquence de l’exposition chaud/froid des pièces critiques étant moindre sur un moteur lent. D’où une fatigue thermique, donc un risque de fissuration, moindres.
Une fois le col gravi, il faut redescendre.
C’est ici que l’on reparle du frein moteur, dont tout le monde, curieusement, semble se contrefoutre allègrement depuis une bonne trentaine d'années, dans l’univers des véhicules grand public du moins.
À une époque où on nous serine continuellement que l'énergie est chère, rare, qu’il faut l’économiser, qu’il faut être « responsable » et patin et couffin, j'avoue que le fait que personne ne se soit sérieusement penché sur la question de consommer de l'énergie (sous forme d'usure des freins) pour en réduire une autre existant par ailleurs (l'énergie potentielle d'un véhicule dans une pente) me pose un problème.
La norme Euro VII vient de sortir et elle limite l’émission de poussières, notamment de freinage. Espérons que les petits génies de la puce savante nous épargneront leurs délires habituels (j’ai déjà vu ici et là circuler des trucs bien farfelus, genre canisters XXL encapsulant les organes de freinage) mais, honnêtement, je ne suis pas serein.
Bref, tout ça pour dire que pour assurer la retenue correcte d'une charge conséquente dans une pente de 12 km — notre col de la Fageole présente aussi l’intérêt d’être un tantinet sinueux — sans tomber deux rapports et devoir compléter au frein de service, je ne vois pas grand-chose de sérieux à part un gros Diesel.
Tout cela est évidemment valable pour les camping-cars.
J’en viens maintenant à cette histoire de boîte de transfert.
Dans le cas particulier de la traction de charges lourdes sur route, je ne vois pas où est le problème : où l’ensemble moteur boîte sort le couple demandé, où il ne le sort pas. La seule différence est le régime de rotation de la boîte sachant que, pour en revenir à notre exemple, l’ascension du col prendra environ 8 minutes, ce qui n’est pas suffisant pour faire grimper significativement la température d’une boîte de transfert.
En d’autres termes, que le moteur sorte 250 ou 500 N·m de couple moyen ne change rien à l’affaire pour la partie aval de la chaîne cinématique : il devra juste tourner deux fois plus vite pour faire le boulot.
Par contre, les choses seront différentes en TT costaud, à part que si j’ai souvent vu des 300 Mercedes V8 gazoline bi-turbo en plein Paris (il y a un nid place Vendôme et du côté du Georges V) et maintenant les nouveaux Def, je n'en ai jamais vu sur des zones, dans le sable mou ou le fech-fech.
Sauf au Qatar, mais bon…
Donc y a pas de problème.
Tiens-nous au jus de tes mesures, en tous cas !
